Publié :dimanche 6 janvier 2013
Par http://eco-etudiant.blogspot.com/
Immersion dans la "smart médecine"
Au coeur des télécommunications aujourd'hui, le smartphone jouera un rôle central dans la médecine de demain. | Emile Loreaux pour Le Monde |
Au coeur des télécommunications aujourd'hui, le smartphone jouera un rôle central dans la médecine de demain.
"Du fait des réseaux sans fil, d'Internet, des possibilités de connectivité entre objets, des capacités des bandes passantes, de l'extraordinaire diffusion des smartphones, du cloud computing, cette "informatique dans les nuages" capable de stocker de gigantesques volumes de données, on observe une superconvergence d'outils pouvant être mis au service de la santé", déclare le professeur Eric Topol, cardiologue, spécialiste de génomique et directeur du Scripps Translational Science Institute (La Jolla, Californie). "Nous vivons une révolution numérique qui va bouleverser la médecine", ajoute-t-il avant de faireremarquer qu'on compte "plus de six milliards de téléphones portables dans le monde, plus que de brosses à dents ou de toilettes", dont un milliard de smartphones, un chiffre qui devrait doubler d'ici à 2015.
ÉLECTRODES
Plusieurs dispositifs innovants, réservés au corps médical, sont commercialisés aux Etats-Unis. Conçu par la firme californienne AliveCor, l'un d'eux permet devisualiser l'électrocardiogramme (ECG) du patient sur un smartphone doté d'une application et muni à l'arrière d'un étui contenant deux électrodes plates. Il suffit au patient de tenir horizontalement un iPhone en appuyant d'un doigt sur chaque électrode pour que s'affichent instantanément le tracé de son ECG et la fréquence cardiaque. L'ECG, sans fil, à portée de doigts.
Ce smartphone fonctionne également lorsqu'il est plaqué contre la poitrine du malade. Au bout de dix secondes, le tracé est enregistré et envoyé sur le "cloud", à partir duquel il peut être récupéré à tout moment. L'enregistrement peut durertrente secondes, de une à cinq minutes, ou être continu. L'écran affiche un seul tracé ECG, correspondant à une seule dérivation, contre douze et autant de tracés pour un électrocardiogramme standard.
VENTE DIRECTE AU CONSOMMATEUR?
Ce dispositif a été homologué en décembre 2012 par l'Agence américaine des produits alimentaires et des médicaments (FDA), également chargée des dispositifs médicaux, et a obtenu le marquage "CE" (conformité aux normes européennes) en vue d'une commercialisation en Europe. Vendu 199 dollars (150 euros), il peut servir au cabinet médical à dépister rapidement un trouble du rythme cardiaque. AliveCor entend encourager les médecins à prescrire son dispositif aux patients souffrant d'une pathologie cardiaque qui pourraient, en cas de malaise ou de palpitations, enregistrer leur ECG et l'envoyer par courriel à leur médecin pour interprétation. AliveCor espère que la FDA autorisera la vente directe au consommateur de son dispositif au deuxième trimestre 2013.
Développé par General Electric Healthcare, Vscan, un système d'échographie de poche, remplacera-t-il le bon vieux stéthoscope au chevet du malade ? Pas de doute là-dessus, à en croire Eric Topol, pendant quatorze ans chef de service du département de médecine cardiovasculaire de la Cleveland Clinic (Ohio), qui déclare "ne plus utiliser de stéthoscope depuis trois ans", soit depuis l'avènement d'échocardiographes ultraportables. Spécialement adapté à une imagerie abdominale, obstétricale et cardiaque, le Vscan comporte une sonde reliée par câble à un smartphone sur lequel l'opérateur visualise les images.
DISPOSITIFS PORTATIFS
Cet échographe portatif comporte également un Doppler couleur pour l'imagerie en temps réel du flux sanguin. Le Vscan est commercialisé 7 900 dollars, contre plus de 30 000 dollars pour les échographes standards. Vscan a depuis peu un concurrent : le système développé par MobiSante (Redmond, Etat de Washington) d'un coût de 7 500 dollars, homologué par la FDA début 2011, dans lequel la sonde d'échographie n'est plus reliée par un fil au smartphone. Ces dispositifs portatifs pourraient se révéler utiles en zones rurales ainsi que dans les pays en voie de développement.
En août 2012, la société californienne Sotera Wireless a reçu l'homologation de la FDA pour son système ViSi Mobile, qui envoie toute une série de paramètres vitaux sur un petit écran fixé au poignet du malade. Toutes les données sont transmises en continu au médecin hospitalier sur une tablette ou un smartphone. Le patient, sur son lit d'hôpital, debout ou à domicile, peut être suivi d'aussi près que s'il était en unité de soins intensifs.
PHOTOS ET VIDÉOS
D'autres dispositifs couplés à un smartphone ont été développés à l'usage des professionnels de santé, qui peuvent transmettre les données enregistrées et lesstocker dans un cloud. Ainsi, à l'aide d'une optique adaptable à l'appareil photo, le dermatologue agrandira vingt fois l'image d'une lésion cutanée suspecte. De même, équipé d'un adaptateur oculaire, le smartphone de l'ophtalmologiste peutprendre des photos haute définition et des vidéos lors de l'examen à la lampe à fente pour examiner la partie antérieure de l'oeil. Muni d'une application qui analyse le son émis à l'expiration, un smartphone a été transformé en spiromètre par des chercheurs de l'université de Washington pour évaluer la fonction respiratoire.
Cellscope, start-up basée à San Francisco, a transformé le smartphone en otoscope. Un embout connecté à l'appareil photo du téléphone portable rend possible l'examen du tympan avec un important effet loupe. Homologué par la FDA, ce dispositif permet aux parents de prendre des clichés des oreilles de leur enfant et de les envoyer au pédiatre, ce qui peut réduire le nombre de consultations tout en permettant de poser le diagnostic d'otite à distance.
BANDELETTES RÉACTIVES
En juillet 2012 a été présenté LifeWatch, le premier smartphone médical grand public, conçu et développé en Israël. Il suffit de poser ses doigts sur des capteurs pour que s'affichent l'ECG, la fréquence cardiaque et respiratoire et la saturation du sang en oxygène. L'appareil, qui fonctionne sous Android, fait également fonction de glucomètre, le taux de glucose sanguin s'affichant après introduction des bandelettes réactives par le haut du smartphone, qui n'a donc pas besoin d'être branché à un lecteur de glycémie. Lifewatch mesure également la conductivité électrique cutanée qui permet de déterminer la masse graisseuse et le niveau de "stress physiologique", également fonction de la variabilité de la fréquence cardiaque.
Situé à l'arrière du téléphone, un capteur à infrarouges mesure la température corporelle. Ce smartphone dispose également d'applications aidant à surveillerl'alimentation, d'un podomètre et d'une fonction de rappel de prise de médicaments. Envoyé sur le cloud de la société, le tracé ECG est analysé par un algorithme qui peut détecter un éventuel trouble du rythme cardiaque et le notifierdirectement à l'utilisateur. Ce smartphone s'adresse aux consommateurs désireux de prendre leur santé en main, au sens premier du terme, ainsi qu'aux patients souffrant de pathologies chroniques (hypertension artérielle, diabète). Il a reçu le 6 décembre 2012 le marquage CE et est en attente d'une homologation par la FDA. "Il sera vendu au prix de 600 dollars. Une interface en hébreu, arabe et anglais est d'ores et déjà disponible. La vente sur les marchés américain et européen se fera en partenariat avec des compagnies d'assurances, des organismes payeurs et des réseaux de soins", indique la firme israélienne.
ALGORITHMES
Autre dispositif spécialement développé pour le consommateur soucieux de sa santé et de son bien-être, celui dévoilé en décembre 2012 par la société Scanadu, hébergée par les laboratoires Ames, de la NASA, à Moffett Field, en Californie. Baptisé Scanadu Scout, ce dispositif se présente comme un boîtier de petite taille, connecté par Bluetooth à un smartphone. En attente d'homologation par la FDA, l'appareil sera vendu moins de 150 dollars et devrait utiliser une application fonctionnant sur iOS, Android et Windows.
Posé sur la tempe, ce dispositif permet d'afficher en moins de dix secondes la température corporelle, la fréquence cardiaque et sa variabilité, à partird'algorithmes interprétant l'activité électrique du coeur. Il affiche aussi le temps de transit du pouls (délai qui sépare l'ouverture de la valve aortique de l'arrivée de l'onde de pouls) et le taux d'oxygène dans le sang (oxymétrie de pouls). Un deuxième dispositif transforme le smartphone en lecteur d'analyse d'urine. Utilisant des cartouches jetables, il permet le diagnostic chez la femme enceinte de complications liées à la grossesse : préclampsie, diabète gestationnel, insuffisance rénale, infection urinaire.
TENSIOMÈTRE SANS FIL
Un troisième dispositif utilise le smartphone pour évaluer un état grippal ou pseudo-grippal. Un test salivaire assure une détection rapide du streptocoque A, des virus grippaux A et B, de l'adénovirus et du virus respiratoire syncytial.
En France, deux sociétés conçoivent et développent des dispositifs médicaux mobiles permettant de mesurer ses propres données physiologiques, de lesenregistrer sur un smartphone, de les partager par mail avec son médecin et de les stocker dans un cloud sécurisé. La société Withings commercialise un tensiomètre relié à un smartphone iPhone ou Android. Dans la version américaine de l'Apple Store, cet appareil de suivi de la tension artérielle figurait, en septembre 2012, en troisième position parmi les douze objets connectés les plus vendus aux Etats-Unis, selon le site Proximamobile.fr. En septième position : le tensiomètre sans fil de la société iHealth Lab. Ce système d'automesure de la tension artérielle est conçu pour l'iPod Touch, l'iPhone et l'iPad. Il suffit de poser le baladeur numérique, le smartphone ou la tablette sur la station d'accueil pour commencerune mesure.
AIDE AU DIAGNOSTIC
Utilisé sur le lieu des soins comme microscope, le smartphone pourrait être une aide au diagnostic (HIV, paludisme, tuberculose, anémie). Il pourrait aussi servir de lecteur optique des résultats d'un "laboratoire sur puce", dispositif ultraminiaturisé capable de doser des marqueurs présents dans une goutte de sang, d'urine ou de salive. Muni d'une application, le smartphone pourrait afficher les résultats de tests génomiques réalisables en moins de trente minutes et qui permettent aujourd'hui de dépister, au lit du malade, une susceptibilité génétique à développer un effet indésirable redoutable vis-à-vis d'un médicament (carbamazépine, statines) ou de prédire la non-réponse au traitement envisagé (clopidogrel, interféron pégylé). En France, télécharger son génome sur son smartphone demeure pour l'instant strictement interdit.
Par ailleurs, une tablette PC communiquant en mode bidirectionnel avec un dispositif implanté sous la peau a récemment permis de contrôler la délivrance d'un médicament contre l'ostéoporose et d'améliorer la densité minérale osseuse des patients.
Enfin, l'équipe du professeur Topol vient de développer un système de microscopie capable de détecter les cellules qui se détachent de la paroi interne d'une artère coronaire lors de la rupture de la plaque d'athérome à l'origine d'un infarctus du myocarde.
"En faisant communiquer un smartphone avec un biosenseur de la taille d'un grain de riz capable de détecter ces cellules endothéliales circulantes dont la morphologie du noyau est anormale, il serait possible de recevoir sur son smartphone une alarme de survenue imminente d'un infarctus myocardiaque, avant même de ressentir le moindre symptôme", déclare Eric Topol.
Selon ce spécialiste, "la numérisation de l'être humain permettra de meilleurs soins et l'avènement d'une prévention personnalisée. Elle se fera sous la pression des consommateurs, bien plus qu'à l'initiative de la communauté médicale, par nature conservatrice et peu encline à adopter des outils qui vont bouleverser sa pratique et remettre en question une partie de son pouvoir".