Publié :mercredi 26 mars 2014
Par EDVAC
L'Histoir Du BOUSBIR
Dès le début de la colonisation française au Maroc, en 1914, les
forces "protectrices" ont décidé d'organiser la prostitution pour
limiter les dégâts hygiéniques et ainsi protéger la société blanche et
métropolitaine des risques épidémiologiques.
Ce sera notamment le cas à Casablanca. En effet, les prostituées locales font alors peur à cause de la syphilis. On décide donc de les parquer et d'ainsi mieux les contrôler dans quelques ruelles faciles à surveiller.
Quelques lots furent de fait affectés à la réalisation du premier quartier réservé de Casablanca sur des terrains appartenant à M. Prosper Ferrieu. Ce dernier, né à Casblanca en 1866, d'abord chargé du Consulat de France, puis vice-consul de Grèce, conseiller politique du général d'Amadou et enfin conseiller du commerce extérieur de la France au Maroc, eu beau , en tant que personnalité publique, s'y opposer vertemment, il ne put empêcher la fixation du quartier réservé à qui, à son plus grand désespoir, il devait donner son prénom, Prosper, déformé par la prononciation marocaine en Bousbir. Se trouvant juste à côté du centre-ville construit par les Français, à Bab Marrakech, en bordure de l'Ancienne Médina, il fut décidé, en 1923, par le chef des services municipaux de Casablanca, de le déplacé dans un quartier moins central. On fit alors appel à l'initiative privée et une société immobilière "La Cressonière", fut crée.
Le quartier réservé se retrouva alors déplacé loin des regards, dans la Nouvelle Médina, avec tout de même une ligne de bus direct qui le relie au centre-ville européen et dont il était l'unique destination. Entièrement clos de murs, il ne possédait qu'une entrée, située sur sa face Est, gardée par un double poste, militaire et policier. Dès que l'on franchissait la grande porte, on se trouvait dans une rue de dix mètres de large et de soixante mètres de long qui se terminait sur une place rectangulaire de vingt mètres sur quarante-huit.
Les guides touristiques de l'époque en parlent assez abondamment : "Les touristes amateurs d'études de moeurs (sont invités) à gagner la ville close de Bousbir, quartier neuf réservé aux femmes publiques (...) Un cadre qui ne manque pas de poésie."... Véritable bordel à ciel ouvert, Bousbir comptera, sur 24 000 m², de 600 à 900 prostituées qui, y vivant comme en prison, sont astreintes aux visites médicales régulières, peuvent commencer dès l'âge de 12 ans et finir usées à 25. Pour leur recrutement, la police n'hésite pas à mettre la main à la pâte, fournissant régulièrement Bousbir en "chair fraîche", majoritairement mineure. Les femmes et les filles "travaillant" dans le quartier étaient soumises à l'autorité inflexible d'une "patronne", perdant totalement leur indépendance. Sans salaire fixe, soit elles travaillaient "au pair" et n'avaient donc comme ressources que les maigres "pourboires" consentis par les clients, soit elles participaient aux "bénéfices", étant entendu qu'après soustraction du prix de la nourriture, des vêtements et des avances consenties à taux usuraires, il ne leur restaient alors plus grand chose...
Un astucieux système qui permettait d'asseoir définitivement, pour le plus grand plaisir des "consommateurs" une situation d'esclavage des femmes soumises ainsi aux désidératas de leur patronne.
Cité prostitutionnelle, cité carcérale, Bousbir, qui sera le modèle des quartiers réservés au Maroc et ailleurs au Maghreb, s'illustrait par sa règlementation administrative, par son contrôle individuel et sanitaire, et, surtout, par le travail d’abattage des prostituées "indigènes", qui pouvait subir jusqu’à 70 rapports sexuels journaliers – un « taylorisme sexuel » selon Christelle Taraud, auteur de "La prostitution coloniale. Algérie, Tunisie, Maroc (1830-1962)"–.
Pour les forces coloniales, cela répondait un double objectif :
ld'une part assouvir les fantasmes de l’imaginaire relationnel et sexuel occidental, épris d'orientalisme, qui faisant écho à l'ébauche des revendications d'autonomie des femmes occidentales, véhiculait, pour la femme maghrébine, une image de féminité oisive, passive et offerte qui traduit l’idée que dans nos pays il serait encore possible de retrouver un rapport entre les hommes et les femmes qui soit “naturel” et “simple”, conforme à la traditionnelle domination masculine (vague orientaliste qui, paradoxe de l'inculture, joui encore chez nombre de nos élites d'une image plus que positive...).
D'autre part, il s'agissait d'inscrire dans l'esprit du colonisé un rapport de force clair et net ;
si les femmes marocaines sont à la disposition pleine et entière des hommes européens, les prostituées européennes, cantonnées dans les maisons closes, sont strictement interdites aux indigènes. Plus qu'un simple commerce de la chair, il s'agissait d'inféoder les femmes "indigènes" et, par là, les hommes, à la domination coloniale. Un système discriminatoire qui sert à avilir et à inférioriser le colonisé par rapport au colonisateur.
Bref, loin des clichés le présentant comme un Eden de sensualité, ou des rapports complaisants le présentant comme une "soupape de sécurité", Bousbir était avant tout un lien d'esclavage sexuel moderne et racialisé, dont l'impact dans la représentation que se feront les hommes de ce qu'allait devenir le Maroc indépendant de leurs femmes sera forcemment néfaste : prostituée potentielle ou traîtresse à "sa race", la femme marocaine subira durablement les préjudices de l'image véhiculée par les Bousbir et autres BMC (bordels militaires de camapagnes, réservés aux soldats).
Si l’abolition du régime de la prostitution réglementée en métropole en 1946 n'a pas concerné les colonies d'Afrique du Nord (officiellement du fait d'un "sous-développement sexuel(!)"), la prostitution, assimilée à juste titre la domination coloniale par les mouvements nationalistes, sera interdite et les quartiers réservés fermés dès avant l'accession à l'indépendance. Bousbir disparaîtra ainsi comme lieu de tolérence en 1953, notamment du fait du militantisme abolitioniste des médécins Jean Mathieu et P-H Maury, auteurs de l'étude "La prostitution marocaine surveillée de Casablanca.
Le quartier réservé", parut en 1951 et qui a mis en exergue les conditions de vie atroces des prostituées de Bousbir et le caractère "concentrationnaire" du quartier. Après l'indépendance, Bousbir, hormis sa fonction de quartier prostitutionnel, a été conservé tel quel et n'a subi aucun changement qui aurait affecté son cachet architectural certain. Le seul rappel du passé aura été la conservation, jusqu'en 2002, du nom des rues (celles de la "Fassia", de la "Doukkalia", de la "Chaouia"...), la plupart de ces habitants n'ayant aujourd'hui aucune idée de son histoire. Une histoire peu reluisante volontairement occultée des deux côtés de la Méditerranée.
Ce sera notamment le cas à Casablanca. En effet, les prostituées locales font alors peur à cause de la syphilis. On décide donc de les parquer et d'ainsi mieux les contrôler dans quelques ruelles faciles à surveiller.
Quelques lots furent de fait affectés à la réalisation du premier quartier réservé de Casablanca sur des terrains appartenant à M. Prosper Ferrieu. Ce dernier, né à Casblanca en 1866, d'abord chargé du Consulat de France, puis vice-consul de Grèce, conseiller politique du général d'Amadou et enfin conseiller du commerce extérieur de la France au Maroc, eu beau , en tant que personnalité publique, s'y opposer vertemment, il ne put empêcher la fixation du quartier réservé à qui, à son plus grand désespoir, il devait donner son prénom, Prosper, déformé par la prononciation marocaine en Bousbir. Se trouvant juste à côté du centre-ville construit par les Français, à Bab Marrakech, en bordure de l'Ancienne Médina, il fut décidé, en 1923, par le chef des services municipaux de Casablanca, de le déplacé dans un quartier moins central. On fit alors appel à l'initiative privée et une société immobilière "La Cressonière", fut crée.
Le quartier réservé se retrouva alors déplacé loin des regards, dans la Nouvelle Médina, avec tout de même une ligne de bus direct qui le relie au centre-ville européen et dont il était l'unique destination. Entièrement clos de murs, il ne possédait qu'une entrée, située sur sa face Est, gardée par un double poste, militaire et policier. Dès que l'on franchissait la grande porte, on se trouvait dans une rue de dix mètres de large et de soixante mètres de long qui se terminait sur une place rectangulaire de vingt mètres sur quarante-huit.
Les guides touristiques de l'époque en parlent assez abondamment : "Les touristes amateurs d'études de moeurs (sont invités) à gagner la ville close de Bousbir, quartier neuf réservé aux femmes publiques (...) Un cadre qui ne manque pas de poésie."... Véritable bordel à ciel ouvert, Bousbir comptera, sur 24 000 m², de 600 à 900 prostituées qui, y vivant comme en prison, sont astreintes aux visites médicales régulières, peuvent commencer dès l'âge de 12 ans et finir usées à 25. Pour leur recrutement, la police n'hésite pas à mettre la main à la pâte, fournissant régulièrement Bousbir en "chair fraîche", majoritairement mineure. Les femmes et les filles "travaillant" dans le quartier étaient soumises à l'autorité inflexible d'une "patronne", perdant totalement leur indépendance. Sans salaire fixe, soit elles travaillaient "au pair" et n'avaient donc comme ressources que les maigres "pourboires" consentis par les clients, soit elles participaient aux "bénéfices", étant entendu qu'après soustraction du prix de la nourriture, des vêtements et des avances consenties à taux usuraires, il ne leur restaient alors plus grand chose...
Un astucieux système qui permettait d'asseoir définitivement, pour le plus grand plaisir des "consommateurs" une situation d'esclavage des femmes soumises ainsi aux désidératas de leur patronne.
Cité prostitutionnelle, cité carcérale, Bousbir, qui sera le modèle des quartiers réservés au Maroc et ailleurs au Maghreb, s'illustrait par sa règlementation administrative, par son contrôle individuel et sanitaire, et, surtout, par le travail d’abattage des prostituées "indigènes", qui pouvait subir jusqu’à 70 rapports sexuels journaliers – un « taylorisme sexuel » selon Christelle Taraud, auteur de "La prostitution coloniale. Algérie, Tunisie, Maroc (1830-1962)"–.
Pour les forces coloniales, cela répondait un double objectif :
ld'une part assouvir les fantasmes de l’imaginaire relationnel et sexuel occidental, épris d'orientalisme, qui faisant écho à l'ébauche des revendications d'autonomie des femmes occidentales, véhiculait, pour la femme maghrébine, une image de féminité oisive, passive et offerte qui traduit l’idée que dans nos pays il serait encore possible de retrouver un rapport entre les hommes et les femmes qui soit “naturel” et “simple”, conforme à la traditionnelle domination masculine (vague orientaliste qui, paradoxe de l'inculture, joui encore chez nombre de nos élites d'une image plus que positive...).
D'autre part, il s'agissait d'inscrire dans l'esprit du colonisé un rapport de force clair et net ;
si les femmes marocaines sont à la disposition pleine et entière des hommes européens, les prostituées européennes, cantonnées dans les maisons closes, sont strictement interdites aux indigènes. Plus qu'un simple commerce de la chair, il s'agissait d'inféoder les femmes "indigènes" et, par là, les hommes, à la domination coloniale. Un système discriminatoire qui sert à avilir et à inférioriser le colonisé par rapport au colonisateur.
Bref, loin des clichés le présentant comme un Eden de sensualité, ou des rapports complaisants le présentant comme une "soupape de sécurité", Bousbir était avant tout un lien d'esclavage sexuel moderne et racialisé, dont l'impact dans la représentation que se feront les hommes de ce qu'allait devenir le Maroc indépendant de leurs femmes sera forcemment néfaste : prostituée potentielle ou traîtresse à "sa race", la femme marocaine subira durablement les préjudices de l'image véhiculée par les Bousbir et autres BMC (bordels militaires de camapagnes, réservés aux soldats).
Si l’abolition du régime de la prostitution réglementée en métropole en 1946 n'a pas concerné les colonies d'Afrique du Nord (officiellement du fait d'un "sous-développement sexuel(!)"), la prostitution, assimilée à juste titre la domination coloniale par les mouvements nationalistes, sera interdite et les quartiers réservés fermés dès avant l'accession à l'indépendance. Bousbir disparaîtra ainsi comme lieu de tolérence en 1953, notamment du fait du militantisme abolitioniste des médécins Jean Mathieu et P-H Maury, auteurs de l'étude "La prostitution marocaine surveillée de Casablanca.
Le quartier réservé", parut en 1951 et qui a mis en exergue les conditions de vie atroces des prostituées de Bousbir et le caractère "concentrationnaire" du quartier. Après l'indépendance, Bousbir, hormis sa fonction de quartier prostitutionnel, a été conservé tel quel et n'a subi aucun changement qui aurait affecté son cachet architectural certain. Le seul rappel du passé aura été la conservation, jusqu'en 2002, du nom des rues (celles de la "Fassia", de la "Doukkalia", de la "Chaouia"...), la plupart de ces habitants n'ayant aujourd'hui aucune idée de son histoire. Une histoire peu reluisante volontairement occultée des deux côtés de la Méditerranée.