Publié :lundi 7 janvier 2013
Par http://eco-etudiant.blogspot.com/
Cette Erreur peut-il rallumer la guerre scolaire ?
Dans un chat sur LeMonde.fr, Maryline Baumard, journaliste en charge des questions d'éducation au Monde, rappelle "qu'il n'y a pas grand-chose de commun, à l'heure actuelle" entre 1984 et 2012 sur la question de la guerre scolaire.
Jean : Eric de Labarre, le secrétaire général de l'enseignement catholique, a-t-il commis une erreur en envoyant une lettre demandant la tenue de débats sur le mariage gay dans les établissements catholiques ?
Maryline Baumard : Au sens juridique du terme, il n'a commis aucune erreur. Au sens moral, c'est une appréciation que je ne porterai pas. Et du point de vue de son rapport à l'Eglise catholique, il est dans son rôle.
Eric de Labarre ne pouvait sans doute pas éviter l'envoi de cette lettre qui rappelle la position de l'Eglise parce qu'il est nommé par les évêques et qu'il assure la cotutelle d'un enseignement dit catholique. Il ne faut pas oublier qu'il a sans doute répondu par là à des pressions de l'Eglise qui, on le sait, s'est positionnée fermement contre le mariage pour tous.
Visiteur : De quel droit peut-on interdire à des adultes (niveau lycée) de débattre d'un choix de société ? Je pense que les professeurs sont à même de diriger de tels débats au sein de leur classe. Que craint monsieur le ministre ?
La lettre d'Eric de Labarre, envoyée le 12 décembre aux 8 300 chefs d'établissement de l'enseignement catholique sous contrat avec l'Etat, ne précise pas dans quel cadre doivent avoir lieu les "initiatives" que le secrétaire général de l'enseignement catholique propose aux établissements de prendre.
Soit il sous-entend que des débats peuvent être organisés au sein de l'enseignement. Alors, la position de l'Eglise ne doit pas être donnée, puisque l'enseignement catholique a une mission de neutralité en matière de positionnement au sein des enseignements. Soit il sous-entend que ces débats trouvent place au sein de la pastorale et là, la position de l'Eglise peut tout à fait être rappelée aux élèves.
L'enseignement catholique sous contrat, comme l'enseignement musulman ou comme l'enseignement juif lorsqu'il est sous contrat, dispose d'une part de liberté au sein de ce que l'on appelle le "caractère propre" de ces établissements. C'est une notion définie dans la loi Debré de 1959. Elle stipule qu'un établissement privé sous contrat se doit d'enseigner de façon neutre les programmes nationaux, mais a aussi une liberté philosophique, religieuse ou pédagogique dans un cadre éducatif que l'on appelle son "caractère propre".
Visiteur : Qu'appelez-vous la "guerre scolaire" ? J'ai du mal à faire le rapprochement entre le mariage gay et l'école...
Je ne vais pas vous rappeler qu'en France, l'école laïque publique s'est construite contre la mainmise du clergé sur l'éducation des jeunes. C'est une situation plus prégnante qu'ailleurs puisque la nation moderne s'est construite autour de son école. Quand on fait référence à la guerre scolaire, on se souvient de cet épisode de l'histoire, mais surtout de la dernière grande résurgence de ce clivage constitutif de notre histoire.
Souvenez-vous du 24 juin 1984. Entre 800 000 et 1,5 million défenseurs de l'école catholique ont défilé dans les rues pour protester contre leur intégration au sein d'un grand service unifié d'enseignement ! Cette démonstration de force a entraîné la démission d'Alain Savary et la fin de cette idée de service unique défendue par le chef de l'Etat d'alors, François Mitterrand.
Votre remarque est intéressante car on a tendance à comparer 2012 et 1984 alors qu'il n'y a pas grand-chose de commun, à l'heure actuelle, entre ces deux épisodes.
René : Quels rapports Vincent Peillon entretient-il avec l'enseignement catholique ? Constate-t-on une différence avec ses prédécesseurs de droite ?
Lors de la conférence de presse de rentrée de l'enseignement catholique, en octobre 2012, le secrétaire général, Eric de Labarre, rappelait avec insistance ses bons rapports avec le ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon.
Le ministre est très attaché à la laïcité au sens général du terme, mais comprend parfaitement cette notion de "caractère propre" qu'il respecte. Durant la campagne, Vincent Peillon mais surtout François Hollande ont rappelé qu'ils ne souhaitaient pas rompre l'équilibre fragile entre enseignement privé et enseignement public.
A peine arrivé, Vincent Peillon a rendu visite aux parents de l'enseignement libre. C'était la première fois qu'un ministre socialiste se rendait à un congrès de l'Apel (Association des parents d'élèves de l'enseignement libre). Et très vite, il a expliqué au secrétaire général de l'enseignement catholique qu'il aurait droit à une partie des 60 000 postes promis sur le quinquennat.
On voit donc que les relations sont plutôt bonnes entre ces deux instances.
Visiteur : Il me semble que c'est la droite qui cherche à relancer cette guerre scolaire pour mettre en difficuté le gouvernement, hors de toute opinion sur le mariage gay.
Si l'on reprend la chronologie des faits, il y a eu la lettre du 12 décembre ; la réponse de Vincent Peillon du 4 janvier et c'est ensuite que les choses se sont emballées. Vendredi 4 janvier au soir, un coup de téléphone entre le secrétariat de l'enseignement catholique et le cabinet du ministre a abouti à un accord stipulant qu'aucune de ces deux parties ne s'exprimerait durant le week-end.
Samedi 5 janvier, au matin, le chef de l'Etat a apporté son soutien à son ministre. Eric de Labarre, lui, a juste donné une précision à l'AFP et un "son" à France Info, mais rien d'autre.
En fait, le débat a été effectivement relancé par les propos de quelques personnalités de droite qui ont apporté un soutien sans limite – même à propos de la laïcité – à l'enseignement catholique et critiqué le gouvernement.
Visiteur : Est ce que des débats sur la société ont déjà été lancés au sein de l'école catholique (ou de l'école plus généralement) de cette manière ou s'agit-il d'une première ?
Il est difficile de savoir ce qui se passe vraiment dans les 8 300 établissements de l'enseignement catholique, comme il est difficile de savoir ce qui se passe dans les établissements publics.
Juste une chose : l'identité des établissements privés sous contrat est en général assez forte ; deux établissements voisins ne se ressemblent pas forcément, n'accueillent pas forcément le même type d'élèves et il y a comme une microgéographie du privé sous contrat.
Il a pu y avoir des débats dans certains établissements plus catholiques que d'autres. La communauté des parents d'élèves est aussi un facteur important et, là encore, rien de commun entre les groupes de parents de deux établissements d'une même ville.
Diabaram : Il y a d'autres motifs de réanimation de la guerre scolaire : le financement des écoles privées qui ne joue pas le jeu de la mixité sociale par exemple. Qu'en pensez-vous ?
Vincent Peillon affiche la volonté de conditionner les moyens d'enseignement aux populations accueillies. Il en parle en général pour l'enseignement public, mais il sera très intéressant d'observer si oui ou non, cela se passe de la même manière dans l'enseignement sous contrat.
Il y a, comme je le disais, des établissements très divers sous la bannière catholique. Rien de commun entre un établissement parisien hyperélitiste et un collège de province qui, lui, se fait fort d'aider les élèves les plus en difficultés, plutôt que de les renvoyer dans le système public.
Visiteur : Je suis très étonné de constater que le débat se focalise sur une opposition avec les catholiques. Je pense que la question se pose également au regard des autres confessions. Qu'en est-il des positions défendues par les représentants de la religion juive et de l'islam ?
Tout à fait. Mais le débat se focalise aujourd'hui sur l'enseignement catholique parce que l'Eglise se positionne comme l'opposant numéro un au mariage pour tous.
Visiteur : Ces 8 300 établissements de l'enseignement catholique ne représentent-ils pas une minorité par rapport à ceux de l'enseignement classique ou laïc ? N'est-ce pas un peu une tempête dans un verre d'eau que cette nouvelle polémique ?
Effectivement, ce ne sont que 17 % des élèves scolarisés entre la maternelle et le Bac. Pourtant, deux millions d'élèves, 843 000 familles, ce n'est pas rien non plus.
Sans compter que l'enseignement catholique n'est pas également réparti sur tout le territoire. On sait que dans l'Ouest de la France, on est à 1 élève sur 2 dans l'enseignement catholique. A Paris, ce sont 40 % des collégiens qui sont dans le privé. Ce qui n'est pas le cas partout en France.
Quand on entend Laurent Wauquiez intervenir sur le sujet, il ne faut pas oublierqu'il est député de la région du Puy – qui a une tradition forte d'enseignement catholique – où 40 % des enfants sont dans l'enseignement sous contrat.